De retour de l’enfer
(Article publié en octobre 1999 dans le n°48 du magazine départemental)
Il reste dans le Loiret moins de 20 poilus. À 103 ans, Raymond Piron habite Château-Renard et se souvient de ces quatre ans de combat où la mort est passée tant de fois si près de lui. Ancien de Verdun, il reste fier d’avoir fait la Grand Guerre. Mais comme beaucoup en est revenu pacifiste.
Des morts par dizaines
« Une grande boucherie. La barbarie à l’état pur. » Voilà les mots que n’hésitent pas à répéter Raymond Piron lorsqu’il évoque la première guerre mondiale. « Il n’a jamais pu oublier. À table, le sujet revenait systématiquement », témoigne son fils Roger. Aujourd’hui Raymond Piron a 103 ans et vit à la maison de retraite de Château-Renard.
C’est au début de 1915, à peine âgé de 19 ans qu’il monte au front. Il habite alors Montcorbon. Il se doutait bien qu’un jour, il devrait faire la guerre. Collégien à Montargis, le jeudi était réservé au stand de tir. D’abord affecté à Bar-le-Duc, Raymond Piron, participe à l’attaque Mangin dans l’eau et la boue. Puis, au début de l’année 1916, il occupe la côte de Poivre par un froid intense. Cette période a marqué sa mémoire au fer rouge. Rouge sang ! « Les morts par dizaines, les jeunes à qui on a coupé les doigts de pieds car ils étaient gelés dans la boue des tranchées. »
« Ils appelaient leur mère »
Vient Verdun. Une bataille titanesque où les hommes tombent comme des mouches écrasés par une pluie de bombes. Raymond Piron est alors téléphoniste, il doit réparer les fils coupés. Il n’a pour seule arme qu’un petit revolver à sa ceinture et ne tire pas. Par contre, les balles et les bombes sifflent à ses oreilles quand il recherche l’endroit de la coupure. Un jour, il voit tous les hommes qui l’entourent mourir à ses pieds, tandis que lui est indemne. Un vrai miracle. Mais Verdun, c’est surtout le symbole des tranchées. De cette vie dans des conditions inhumaines au milieu des rats et des poux. Et ces milliers de jeunes hommes qui se meurent dont Raymond Piron entend encore les gémissements, les cris de détresse. « À l’heure de mourir, ils appelaient leur mère. »
On sort secoué d’une telle expérience. « Mon père en est revenu philosophe et pacifiste, affirme Roger Piron. Il disait qu’il ne pouvait rien lui arriver de pire. La nuit, il a souvent fait les mêmes cauchemars. Ses petits-enfants ne voulaient pas dormir dans la chambre mitoyenne à la sienne. Ça leur faisait peur. Mais la guerre lui a forgé des convictions européennes et pacifistes. Ensuit, il a toujours prôné le rapprochement des peuples. » Au retour de la guerre, Raymond Piron s’est marié, a repris la ferme familiale et est devenu maire de son village. Une vie bien remplie. Mais ses années de 1914 à 1918, années terribles, restent celles qui ont le plus marqué la mémoire de cet homme. Un survivant.