Balzac au collège oratorien de Vendôme
Document à la une d'octobre et novembre 2023
Une fois n’est pas coutume, ce document à la une emprunte un chemin qui le mène hors du Loiret : plus exactement au collège oratorien de Vendôme dans le Loir-et-Cher ! Cet établissement fondé en 1623 a notamment compté dans ses rangs le tout jeune Honoré de Balzac…
Le collège oratorien de Vendôme
Le collège oratorien de Vendôme a été fondé en 1623, il y a donc 400 ans, par César de Bourbon, fils d’Henri IV et de sa favorite Gabrielle d’Estrées. Situé sur les rives du Loir, en plein centre ville de Vendôme, le bâtiment forme une enceinte qui entoure la cour d’honneur. Une chapelle est rattachée à ces murs. Dans son ouvrage « Louis Lambert », Balzac raconte à travers les yeux d’un élève du collège oratorien de Vendôme l’arrivée d’un jeune garçon pas comme les autres. Par bien des aspects une autobiographie déguisée. Il y décrit les lieux : « Situé au milieu de la ville, sur la petite rivière du Loir qui en baigne les bâtiments, le collège forme une vaste enceinte soigneusement close où sont enfermés les établissements nécessaires à une institution de ce genre : une chapelle, un théâtre, une infirmerie, une boulangerie, des jardins, des cours d’eau ».
En 1776, l’établissement est temporairement transformé en « Ecole Royale Militaire », avant de revenir sous le joug des oratoriens en 1847. Il devient alors le lycée de Vendôme. En plus de Balzac, d’autres élèves aujourd’hui connus ont fréquenté cette école : Elie Décazes, homme politique du début du XIXème siècle et surtout Pierre de Ronsard, célèbre poète. C’est d’ailleurs le nom de ce dernier qui est utilisé en 1930 : Le lycée de Vendôme prend le nom de lycée Ronsard ! La chapelle fût classée aux monuments historiques par arrêté du 9 juillet 1921. Le reste de l’édifice le sera également plus tard en 1978. Le bâtiment est ensuite délaissé dans les années 1970 car un nouveau lycée est construit en bordure de ville. C’est la commune qui entreprend en 1982 des travaux de rénovation pour y installer l’hôtel de ville.
Honoré de Balzac, un élève lent, doux, puis enfantin
Les Archives départementales du Loiret, en tant que chef-lieu de région, conservent des documents issus du collège oratorien de Vendôme. Et notamment les registres des élèves du collège oratorien de Vendôme entre 1809 et 1833 (avec cependant des lacunes). Honoré de Balzac fréquenta cette école de 1807 à 1813. Nous retrouvons son nom dans les registres des pensionnaires
Ces trois registres révèlent que le futur écrivain est né à Tours de parents « propriétaires ». Il a intégré l’école le 22 juin 1807, alors âgé de 8 ans. La colonne « Observations » nous en dit un peu plus sur la personnalité du jeune Honoré de Balzac. En 1809, sa conduite est considérée comme « Bonne », son caractère « Lent » et ses dispositions « Très heureuses ». En 1810, de conduite toujours « Bonne », il est dorénavant décrit comme un élève « Doux » et ses dispositions sont simplement « Heureuses ». En 1811, de doux, il devient enfantin ! Rien ne laisse présager que cet écolier deviendra plus tard l’un des plus grands écrivains français.
Louis Lambert, Pythagore et Balzac
Dans son ouvrage « Louis Lambert » publié en 1832, Honoré de Balzac raconte donc la destinée d’un jeune garçon au sein du collège oratorien de Vendôme. Différent des autres élèves, il va rapidement se démarquer par son attitude non conventionnelle. À bien des égards, ce récit semble mélanger fiction et réalité. Louis Lambert est un écolier décrit comme doué, mais incompris par ses professeurs. Le lieu de l’intrigue parait être la copie conforme du collège réel. La scolarité du héros est chaotique et seule la lecture lui permet d’échapper aux affres du quotidien, comme Balzac, qui, on le sait, se réfugiait énormément dans la lecture lors de son pensionnat. Louis Lambert est-il un Balzac déguisé ?
En 1939, Jacques Soyer, ancien directeur des Archives départementales du Loiret, signale des documents dans le fond de l’Académie impériale d’Orléans ayant trait à un Collège situé à Vendôme. Dix années plus tard, Daniel Vannier, conservateur au musée de Beaugency, en prend connaissance et, dans le cadre du centenaire de la mort du célèbre écrivain, entreprend une étude qui s’intitulera dans les pages de la République du Centre de mai 1949 : « En marge de Louis Lambert, Balzac au collège de Vendôme d’après des documents inédits conservés aux Archives départementales du Loiret ». Vannier s’interroge sur le rapport que peut entretenir Balzac avec son personnage : ses similitudes, ses différences. Il étudie également la vie et la discipline de l’institution ainsi que les relations entre les élèves et le corps professoral. Lire le livre est peut-être un moyen de se faire une idée plus précise des points communs…
Le résumé du livre Louis Lambert, édition Flammarion, 1832.
Les premières lignes du livre insistent sur la passion presque dévorante qu’a ce personnage pour la lecture. Elle lui permet en effet de « délicieux voyages, embarqué sur un mot […] comme l’insecte qui flotte au gré d’un fleuve sur quelque brin d’herbe ». (p.9)
Le narrateur manifeste également une certaine admiration pour l’élève, presqu’un émerveillement. Il note sa mémoire prodigieuse, et même « toutes les mémoires, celle des lieux, des noms, des mots, des choses et des figures ». Nul doute que le personnage principal de l’œuvre est doté d’une intelligence hors du commun, incompatible avec la vie en communauté. (p. 13)
L’histoire débute réellement maintenant
La rencontre entre Louis Lambert et la Baronne de Staël, âme bienfaitrice -c’est elle qui financera ses études au collège- est détonante mais éphémère (elle meurt rapidement). Sur la lisière d’un parc, elle voit le jeune homme plongé dans un livre de Swedenborg et lui demande s’il comprend ce qu’il est en train de lire. Ce à quoi le garçon lui répond : « Priez-vous Dieu ? », « Mais…Oui » répond-t-elle. « Et le comprenez-vous ? ». La baronne resta muette devant une telle vivacité d’esprit. Elle l’envoie au collège oratorien de Vendôme. (p. 18 et 19)
Le collège oratorien de Vendôme décrit dans le livre ressemble trait pout trait au véritable : « Sur la petite rivière du Loir, le collège forme une vaste enceinte soigneusement close ». La vie étudiante également : « La règle interdisait d’ailleurs les vacances externes » et « tout avait été calculé pour donner à cette maison la discipline conventuelle ». (p. 13)
Sur les dires du père Haugoult et de Madame de Staël, Louis impressionne les autres élèves avant même son arrivée effective. On lui attribue d’ailleurs, sans mise à l’épreuve « un habit décoré du ruban rouge que portaient les académiciens de Vendôme », et ce, malgré des faiblesses en Latin. Faiblesses largement compensées par une soif littéraire démesurée. Le narrateur voit en ce nouveau camarade « un géant », et une promesse. (p. 23 à 27)
Louis Lambert a 14 ans quand il intègre le collège. Décalé, un brin dédaigneux et sans intérêt pour les enfantillages, il est très vite surnommé « Pythagore » par les autres élèves. Seul le narrateur, semblant partager avec lui le goût de la lecture et des poèmes, l’observe attentivement. Il remarque des yeux noirs taillés dans de l’albâtre. (p. 37 et 38)
Après un trimestre, la promesse s’avère vaine. Le nouvel élève parait finalement « très ordinaire » et le narrateur se lie d’amitié avec lui. Ils seront surnommés « Le poète-et-Pythagore ». Sobriquet méprisant. Louis est en réalité étouffé par la stricte discipline du collège et de sa silencieuse vie communautaire. Il se morfond, passe son temps à regarder la cime des arbres, et ne rend pas le travail escompté. Il est puni de pensum. Tout comme son binôme le narrateur. (p. 41 à 45)
L’hiver arrive. S’ajoutent aux douleurs morales des souffrances physiques liées aux engelures et crevasses formées par le froid. D’autant plus présentes quand les vêtements et souliers sont en mauvais états. Les gants sont en ce lieu un privilège. Louis Lambert n’échappe pas à une autre forme de souffrance physique : celle causée par la férule. Les préfets d’études n’apprécient en effet pas chez lui sa capacité à détecter des erreurs qu’ils font ou qu’ils disent, et en retour, le punissent par « cette palette de cuir appliquée sur des faibles mains ». Accablé de férules, mélancolique, il se réfugie dans le seul endroit libre du collège : ses pensées. Toujours accompagné de son fidèle camarade. Ils sont méprisés par les maîtres et moqués par les autres élèves. (p. 48 à 56)
« Penser, c’est voir ». Et pour pouvoir penser, il faut lire. Louis et le narrateur passent des heures à lire, sans dire un mot, s’oubliant l’un et l’autre, mais assis cote à cote. Ils se complètent et écrivent leur pensum ensemble, Ils « plongent dans des océans d’idées » et débattent du « ciel et de l’enfer » de Swedenborg, et des anges que « Pythagore » souhaite rencontrer dans une version féminine. (p. 57 à 67)
Les deux acolytes réunissent leurs efforts pour faire leurs devoirs mais restent incompris par leurs professeurs qui ne voient en eux que « deux idiots ». Une réponse ne convient pas, et ils sont tous deux « jetés en prison », et ce pendant des journées entières. Ce qui est pour eux propice à la rêverie, malgré la surveillance et l’interdiction des livres. (p. 68 à 70)
Les dimanches et jeudis sont des jours de congés. Ils se rendent au manoir de Rochambeau. Lorsqu’ils arrivent, Louis pense avoir déjà vu les lieux et vécu la scène dans ses rêves. Peut-être est-il déjà venu en cet endroit « pendant son enfance » ? lui demande le narrateur. Non. Par contre, a-t-il acquis la faculté de séparer son corps et son esprit pendant son sommeil ? Peut-être un « accident du sommeil » ? Le scientifique enfoui en Louis Lambert se réveille. Il théorise cette impression de déjà-vu et souhaite devenir « chimiste de la volonté ». Il débute un ouvrage : « Traité de la volonté ». (p. 71 à 78)
6 mois de travail. Les autres élèves commencent à s’intéresser à ce que fait Louis Lambert. Mais pas de la manière espérée. Une bagarre éclate. « Une funeste issue » est pressentie. Le père Haugoult intervient et confisque le manuscrit. Louis pleure. 6 mois passent de nouveau et le narrateur quitte l’école, plongeant son camarade dans la tristesse. Il ignore ce qu’il devient par la suite et débute à son tour un manuscrit, inspiré de « Traité de la volonté ». 10 années passent. (p. 79 à 82)
Le narrateur se considère comme le disciple de Louis Lambert, le relai de ses idées. La volonté, la pensée et la volition sont liées. C’est ce qu’il a appris de son ancien camarade. « Pour penser, il faut vouloir ». Il se questionne sur la science de la pensée et de la volonté : la circulation d’un fluide est-elle à l’origine de tout cela ? Car si une action entraîne une réaction, une volonté, ou un désir entraîne lui un acte extérieur. Louis était pour lui un visionnaire. (p. 83 à 89)
S’ensuit une longue théorisation de la volonté, de la pensée, de l’action, de la réaction, et de tous les phénomènes qu’a pu observer Louis Lambert depuis son enfance jusqu’à sa scolarité. Ce qui peut être englobé dans une discipline : les sciences humaines. (p. 90 à 100)
Le narrateur se souvient d’une histoire racontée par Louis. Une histoire familiale. Ses parents étaient en procès contre un « agresseur ». Un bisaïeul s’en va consulter sa femme qui lui indique que des quittances chez un notaire à Blois sont la preuve décisive. Il dit vrai. Problème : sa femme est au cimetière depuis longtemps. Une apparition ? Une vision ? Louis Lambert, que le narrateur qualifie de « génie » cherche à comprendre dans les lois humaines ce qui a bien pu arriver. C’est ainsi que matérialisme et spiritualisme deviennent deux principes qu’il souhaite voir « fondre » en un. (p. 102 à 108)
Le narrateur explique ce qui l’a amené à quitter le collège. Il est tombé malade. Dans un état proche du coma, sa mère le retire de l’école (ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’a vécu Honoré de Balzac). La séparation entre lui et Lambert fut déchirante : un adieu de par la fenêtre grillagée du réfectoire. Il raconte le rapport qu’a Louis avec la religion et la bible : « l’apocalypse est une extase écrite ». (p. 109 à 118)
Louis sort du collège à l’âge de 18 ans, et part sur Paris pour achever ses études. La vie parisienne, son égoïsme, fait souffrir le cœur de Louis Lambert. Peu fortuné, il déchante rapidement et part vivre à Blois, là où son oncle demeure. C’est ici que se termine « cette enfance grandiose, et cette jeunesse incomprise ». (p.120 à 128)
Fin de la première partie
La suite…
Pour aller plus loin
Tous les deux mois, les Archives départementales du Loiret mettent en valeur un document extrait des fonds, présenté dans le hall du Site des archives historiques et généalogiques, 6 rue d'Illiers, Orléans. Découvrez tous les documents à la une.
Bibliographie
- Balzac à Saché., Tours, 1964.
(Bibliothèque des Archives départementales du Loiret, BH BR/5978)
- VANNIER (Daniel), « En marge de Louis Lambert. Balzac au collège de Vendôme d'après des documents inédits », 1949
(Bibliothèque des Archives départementales du Loiret, BH BR/5303)
- WEELEN (Jean-Edmond), «Balzac avant Vendôme », Saumur, 1952.
(Bibliothèque des Archives départementales du Loiret, BH BR/2134)