1940, année terrible pour les Archives du Loiret
Exposition présentée avec les documents originaux du 19 septembre au 30 octobre 2020
Exposition "1940, année terrible pour les Archives du Loiret"
Dans le contexte du 80e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, l’année 2020 marque en particulier le souvenir du bombardement du centre-ville d’Orléans et de l’incendie des Archives du Loiret en juin 1940.
L’exposition revient sur ce temps fort à l’aide de photographies, de cartes postales et de documents écrits.
Venez découvrir l’histoire de l’ancien couvent des Minimes investi par les Archives départementales en 1913, de sa destruction et de l’action des archivistes qui en a découlé : préservation de certaines séries d’archives, reconstitution de fonds documentaires, enfin réouverture des lieux au public.
La persévérance des archivistes et l’action publique ont permis aux Archives départementales de retrouver leur vocation au service d’une communauté et d’un patrimoine commun : un lieu de préservation de l’histoire par-delà les vicissitudes des temps, un lieu d’exercice des droits des citoyens.
L’exposition a été réalisée avec de précieux soutiens :
- le Musée départemental de la Résistance et de la Déportation de Lorris pour le prêt de plusieurs objets ;
- l’association « Groupe d'Histoire des Fonderies de Meung-sur-Loire » et son Président M. Jean-Christian Moulin pour le prêt d’un corps d’obus ;
- M. Philippe Réaudin pour le prêt de figurines à l’échelle 1/32ème représentant des pompiers et soldats français et allemands de la Seconde Guerre mondiale ;
- les Archives municipales et métropolitaines d’Orléans pour les renseignements précieux fournis par leur story map, richement documentée, « 1940-1944 : Orléans bombardée » et pour la fourniture de plusieurs images ;
- l’agence Ciclic Centre-Val de Loire, pour la fourniture du film 16 mm « Orléans détruit » 1940, E. Lauquin
Qu’ils soient tous remerciés pour leur bienveillance et leur collaboration
Retrouvez ci dessous le livret de l'exposition :
1940, année terrible pour les Archives du Loiret
Les premiers mois de l’année 1940 se passent dans l’ambiance curieuse de la «drôle de guerre», marquée par la mobilisation humaine et matérielle, l’organisation de la défense passive, et une certaine usure psychologique liée à l’attente. L’attaque allemande, lancée le 10 mai, et l’avancée rapide de l’ennemi plongent la France dans un dramatique exode.
Avant même que les Allemands ne pénètrent dans le Loiret, leur aviation a lancé des raids aériens sur les villes ligériennes. L’objectif est clair, il s’agit de couper la retraite de l’armée française en empêchant le franchissement de la Loire. Dans la nuit du 14 au 15 juin, Orléans est bombardé pour la première fois. Les frappes se succèdent ensuite jusqu’au 19 juin, tant sur la cité johannique que sur les autres villes qui disposent d’un pont : Gien, Sully-sur-Loire, Châteauneuf-sur-Loire, Jargeau, Meung-sur-Loire, Beaugency. Lorsque ce ne sont pas les avions ennemis, ce sont les artificiers de l’armée française qui font sauter les ponts en espérant contenir les troupes allemandes sur la rive droite du fleuve. Ce n’est que la perspective d’un armistice, demandé par Pétain le 17 juin, signé le 22 et entré en application le 25, qui met un terme à ces destructions. Il ne reste alors plus que trois ponts indemnes pour traverser la Loire : celui de Beaugency et les ponts ferroviaires de Sully et d’Orléans, ce dernier ayant permis aux Allemands de poursuivre leur avancée.
Les dégâts les plus importants s’observent à Orléans, qui constituait naturellement une cible prioritaire. Des incendies spectaculaires sesont déclenchés dans l’axe du pont George V, de la rue Royale à la rue Bannier. Les pompiers d’Orléans s’étant repliés en Sologne avec la municipalité, la lutte contre l’incendie est inexistante ou presque. Les derniers feux ne sont éteints que le 27 juin. Au total, ce sont 17 hectares de la ville qui ont été ravagés.
Entre la place du Vieux Marché et la rue de la Lionne il n’est guère de bâtiments qui ne soient en ruines. La chapelle du couvent des Minimes, qui abrite les Archives départementales depuis 1913, se consume. Le 18 juin 1940, en quelques heures, immeubles et collections sont anéantis, et la quasi-totalité des documents alors conservés disparaissent dans les flammes.
Le Loiret est l’un des quatre départements à avoir perdu une grande partie de ses collections. Ce n’est qu’en 1959, plus de dix-huit ans après sa destruction, que le nouveau bâtiment des Archives départementales est inauguré.
Une catastrophe anticipée
Géraud Lavergne, archiviste nommé à la tête des Archives du Loiret en 1934, n’est pas satisfait de ses conditions de travail dans l’ancien Couvent des Minimes. La configuration des lieux, inchangée depuis qu’ils ont été investis par les Archives en 1913, est loin d’être rationnelle et le manque de place commence à se faire sentir. Il appelle de ses vœux un réaménagement de l’ensemble, en particulier de la chapelle. Il obtient des travaux, l’installation de nouvelles salles dans l’étage sous combles, la réfection de la toiture… Mais bientôt, un nouveau sujet de préoccupation apparaît : « Il est permis de s’inquiéter de l’absence de toute cave ou abri dans l’immeuble : en cas de guerre, il serait matériellement impossible de mettre à l’abri la partie la plus précieuse des archives » (1erjuillet 1939). Quelques mois plus tard, le directeur réussit à faire transporter quelques caisses contenant des documents anciens aux châteaux de Combreux et de l’Emérillon à Cléry-Saint-André. L’absence de crédits pour l’achat de caisses et pour leur transport par camion l’empêche d’évacuer la totalité des fonds.
Géraud Lavergne relate l’incendie dans son rapport annuel au préfet « A l’aube du 15 juin dernier, une torpille aérienne tombait rue Bannier sur le cinéma Le Sélect et y créait un premier foyer d’incendie au cœur même d’Orléans. Les bombardements violents du samedi après-midi et du dimanche provoquèrent de nouveaux sinistres qui, faute d’être activement contenus s’étendirent dès le 18 juin à l’îlot délimité par la place du Martroi, les rues du Colombier, du Grenier à Sel et d’Illiers. Au cours de ce gigantesque bombardement, les divers immeubles affectés depuis 1913 au service des Archives et à la direction des Services agricoles devinrent la proie des flammes : seuls devaient être épargnés par le fléau la loge du concierge, le garage, la maison d’habitation occupée en dernier lieu par M. Serge Baret, la buanderie et, comme par miracle, le rez-de-chaussée de l’annexe des Archives donnant sur le petit jardin attribué à l’archiviste entièrement dépouillé par l’incendie des Archives. »
Rapport de Géraud Lavergne sur le fonctionnement des Archives départementales, 13 septembre 1940 (Arch. dép. du Loiret, 1794 W 1)
Les fonds détruits et la « reconstitution » des fonds d’archives
Le 18 juin 1940, après le bombardement du quartier, le dépôt brûle entièrement, comme le résume laconiquement une lettre du directeur des Archives de France au préfet, datée du 6 août suivant : «Les bâtiments de la rue d'Illiers et les collections qui s'y trouvaient ont été à peu près totalement anéantis par le feu, ainsi que le logement de l'archiviste. Seule une petite annexe, qui renfermait les séries d'archives S, T et X, subsiste. Les documents qui avaient été mis, au mois de mai, à l'abri en dehors de la ville, constituent, avec quelques séries, tout ce qui reste des archives départementales ».D’après G. Lavergne, «près de 7000 mètres de casiers ou d’étagères, le mobilier, la riche bibliothèque, toutes les archives communales et hospitalières, anciennes ou modernes dont l’organisation avait coûté tant d’efforts, ont été, en quelques heures, rendus inutilisables ou réduits à quelques tas de cendres et de gravats ». Au total, 6000 liasses, en plus des 24 caisses de documents précieux évacués, sont sauvées de la proie des flammes. Environ 80% des collections sont détruits. Sur les photographies prises après le désastre, on aperçoit les casiers en ciment construits dans la chapelle qui n’ont pas résisté pas aux flammes.
Les collections restantes sont transférées au 15 rue Chappon, dans un immeuble de rapport appartenant à un agent de change et ayant jusque-là abrité des sinistrés. Bernard Jarry, nommé directeur en juin 1941, y trouve des dossiers qui s’empilent en vrac. Il rétablit le fonctionnement administratif du dépôt, fait poser des rayonnages et entreprend le classement des papiers versés depuis 1940. Un essai de reconstitution partielle des fonds est entrepris par le biais de dépouillements systématiques et de la reproduction de pièces conservées entre des mains privées, aux Archives nationales, à la Bibliothèque nationale et d’autres institutions. L’oeuvre de restauration est poursuivie par son successeur Michel Le Pesant (1945-1949). Une de ses principales préoccupations est, à côté du récolement et du répertoriage des archives anciennes subsistantes, la réinstallation des archives dans un nouveau local.
L’action des directeurs successifs porte également sur l’acquisition de fonds ou de collections privés qui peuvent compenser en partie les pertes. Dépôts notariaux et versements administratifs reprennent également dès 1940 . Le laboratoire photographique créé en 1961 mène à bien diverses opérations de microfilmage dont celles des séries anciennes subsistantes.
Des Archives détruites dans une ville en ruine
Dans la première quinzaine de juillet, lorsque les Orléanais rentrent d’exode, ils découvrent une ville en ruine. La plupart des artères du centre, ne sont plus que des façades noircies et tas de décombres. Les gravats débordent jusqu’aux chaussées.
Les bombardements et les incendies consécutifs ont ravagé toute la partie Ouest du Martroi, de la rue Royale et de la rue Bannier. Les rues de Vieille Poterie, de la Hallebarde, du Tabour, des Carmes et d’Illiers ne sont plus que des passages encombrés de décombres d’immeubles. L’église Saint-Paul, les Archives départementales, la maison de Jeanne d’Arc ont brûlé. Seuls, dans ce quartier sinistré, ont tenu bon l’hôtel des postes et la statue de Jeanne d’Arc.
Comme les pompiers sont partis avec leurs pompes, les rares Orléanais courageux restés sur place n’ont que des seaux et des bassines pour recueillir l’eau de pluie. L’incendie allumé par les bombes au centre d’Orléans le 14 juin n’est pas encore éteint le 25 juin. Il faudra les efforts de trente pompiers et deux motos-pompes parisiens, joints à ceux des pompiers d’Orléans rentrés d’exode pour venir enfin à bout du terrible sinistre…
Si le Pont Neuf d’Orléans a été entièrement détruit par les explosifs de l’armée française, le pont Royal n’a perdu au final qu’une seule arche que les Allemands ont rapidement reconstituée grâce à une structure en bois. En revanche la reconstruction de la ville n’a véritablement commencé qu’après la fin de la guerre. Malgré l’activité du préfet Jacques Morane, seul le déblaiement des décombres a pu être effectué sous l’Occupation, offrant par endroit une vision de paysage lunaire.
Reconstruire le bâtiment
Dès août 1940, le directeur des Archives de France demande au préfet du Loiret d’étudier le remplacement du bâtiment détruit. Dès cette époque, il est proposé de « replacer les archives sur le terrain du cloître et de la chapelle de l’ancien couvent des Minimes. » Cette solution offre plusieurs avantages : le terrain appartient au département, les bâtiments pourraient être plus facilement réaménagés en dépôt d’archives qu’en logements, d’autant plus que, depuis la mesure de classement prise en 1941, il est impossible de les affecter à n’importe quel usage. D’autres projets sont cependant mis à l’étude et abandonnés. La commission départementale se range finalement à cet avis en 1947. « Il importe maintenant de hâter la reconstruction de ces bâtiments », recommande le directeur des Archives en février 1948.
La reconstruction des Archives traîne pendant plusieurs années, en raison, semble-t-il, de l’opposition du ministère de la Reconstruction. Le 12 mars 1952, cette administration donne enfin un avis favorable et le conseil général nomme dès le lendemain les trois architectes responsables du site (MM. Boitel, Gélis et Morisseau). Les travaux débutent en mars 1954. La presse locale en rend régulièrement compte. Un article de La Nouvelle République ne peut que constater que la chapelle des Minimes est reconstruite plutôt que restaurée : elle « n’a plus rien d’historique ». Un nouveau bâtiment est construit à l’angle des rues d’Illiers et des Minimes, « moderne, simple, sans prétention ».
Dans la configuration du nouveau dépôt d’archives, la chapelle doit servir de magasin de conservation. La restauration entreprise par le service des Monuments historiques lui a restitué son enveloppe de pierre sur laquelle a été posée une toiture d’ardoises sur charpente métallique. À l’intérieur ont été montés six niveaux de planchers en béton où ont été implantés des poteaux métalliques, fondés sur des puits, qui doivent supporter les tablettes des rayonnages. Les murs sont ainsi libérés de la charge.
Enfin, plus de dix-huit ans après sa destruction, le nouveau bâtiment des Archives départementales est inauguré. Le 29 janvier 1959, Charles Braibant directeur des Archives de France, entouré de plusieurs directeurs d’archives et de toutes les personnalités locales, préside la cérémonie. C’est dire l’importance de cet ensemble architectural comme lieu de mémoire et comme lieu de préservation pérenne de l’histoire par-delà les vicissitudes du temps.